NICOLAS POUSSIN

Parangon de l'art classique, Nicolas Poussin (1594-1665) apparaît souvent comme un peintre d'accès difficile compte tenu de la rigueur de ses compositions et de la vision raisonnée qui caractérise de chacune de ses œuvres. Nicolas Poussin a séjourné en Italie dès 1624, est retourné en France sur invitation expresse de Richelieu et de Louis XIII en 1640, pour repartir définitivement à Rome en 1642.
Le peintre nous a laissé de très rares autoportraits. Son œuvre se compose d'un très grand nombre de peintures à caractère mythologique, historique et religieux.
Ci-dessous :
Inspiré de Virgile,

Les bergers d'Arcadie, 1637-1639.

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Inspiré des Métamorphoses d'Ovide,

Acis et Galatée

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Ou… de l'histoire romaine, La mort de Germanicus,…

L'enlèvement des Sabines.


Pour les références bibliques, citons pour mémoire,


Le Jugement de Salomon, 1641.

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Les sujets retenus indiquent l'importance de l'héritage humaniste et occidental. L'objet de la peinture n'est pas de produire quelque chose d'inédit. La nouveauté consiste bien plutôt, nous dit Poussin, " dans la bonne et nouvelle disposition et expression, et ainsi de commun et vieux, le sujet devient singulier et neuf. " Lettres et propos sur l'art, p.184.
Ce que vise la peinture de Poussin, ce n'est pas la satisfaction de plaisirs immédiats, sensuels, mais ceux de l'âme, de la délectation par la réflexion. Peindre, c'est pour Poussin, faire " profession de choses muettes ". La peinture, en cela, est une poésie du silence. Aussi les allégories ont-elles pour unique destination, la beauté intellectuelle.
Comment alors ne pas souscrire à cette remarque de Gide : " La joie que nous procure la contemplation de certaines œuvres de Poussin n'est point seulement un ravissement de nos sens, elle est profonde, durable et la sorte de sérénité que j'en retire m'ennoblit. "

L'imitation des actions humaines est pour Poussin une préoccupation centrale. La peinture doit s'imposer comme " idée des choses incorporelles ". Par quels moyens ?
Tout d'abord par le dessin. Terme qui désigne, au XVIIe, à la fois la trace matérielle d'un geste et l'intention qui l'anime. Poussin aura retenu la leçon de Vinci.
A noter que cette pratique du dessin est relayée par une connaissance des dissections (Poussin a suivi l'enseignement du chirurgien Nicolas Larche) mais aussi par la réalisation de maquettes assez curieuses avec quadrillage, figurines et différentes ouvertures pour laisser passer la lumière. Voir la description que nous en donne, en 1669, Le Blond de Latour. Document en annexe.
Esquisses, travaux préparatoires qui s'appuient sur la proportion et la perspective. Là encore, la fascination pour les antiques est une constante.

Mais comment figurer dignement les passions ? L'un des grands soucis de Poussin est de décrire l'accord entre l'action des hommes et l'ordre même de l'univers. Le cours régulier et permanent des choses ne peut être appréhendé que dans la clarté et la simplicité. L'âme est déchiffrable. Au peintre d'élaborer une véritable rhétorique des passions.
" De mesme que les 24 lettres de l'alphabet servent à former nos parolles et exprimer nos pensées, de mesme les lineamens du corps humain à exprimer les diverses passions de l'âme pour faire paraître au dehors ce que l'on a dans l'esprit " Poussin, cité par Félibien(son biographe) dans son journal en 1648. Extrait de Lettres et propos sur l'art, p.206.
Joie, surprise, douleur, effroi…se combinent, se subordonnent ou s'excluent.

L'étude appliquée des émotions et des passions doit rendre possible l'émergence d'invariants universels dans les expressions, les gestes (affeti). Il ne saurait y avoir de discontinuité entre l'idée et le réel. A l'artiste donc d'en montrer l'unité dans un travail d'idéalisation. On retrouve là, l'esprit du Cinquecento, son " intention de découvrir l'idéal pour définir le normal " dit pertinemment Panofsky.
A l'instar des antiques, Poussin s'efforce de définir les hommes tels qu'ils devraient être, idéal-type avant la lettre, nous permettant de nous réapproprier les traits premiers de la nature humaine.

La structure du tableau devra donc s'organiser à partir des éléments suivants : la disposition, l'invention, la proportion, la couleur, le mouvement ou expression. D'autre part, ce qui est représenté dans le tableau peut être rigoureusement indexé sur cinq modes :
1.Le mode dorien, " stable, grave et sévère, et qui rend les personnes étonnées ".
2.Le mode phrygien, " véhément, furieux, très sévère ". Ce mode convient pour les sujets de guerre.
3.Le mode lydien accommodé " aux choses lamentables ".
4.Le mode hypolydien qui " contient en soi une certaine suavité et douceur " ce qui a pour effet de remplir l'âme de joie.
5.Le mode ionique, " de nature joconde "(joyeuse). Exemple : dans les bacchanales. Genre empreint de paganisme où Poussin excelle !


Nymphe endormie surprise par des satyres, 1626-1627.

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Concluons par quelques mots sur l'utilisation des couleurs.
Celles-ci ont avant tout une valeur symbolique. La juxtaposition de couleurs complémentaires est faite pour créer une dynamique induisant chez le spectateur délectation et réflexion. Pas de clair-obscur chez Poussin mais des couleurs dont les intensités sont soigneusement égalisées. Ce qui renforce l'aspect intemporel de ses tableaux.

NB. " Le Poussin ne pouvait rien souffrir de Caravage et disait de lui qu'il était venu au monde pour détruire la peinture. "
Interrogeons les tableaux du Caravage (1571-1610) !
Pour ce dernier fasciné par les apparences, le naturalisme prévaut. Caravage recherche les effets les plus crus ; ce qui saisit.
Poussin rejette Caravage pour deux principales raisons : l'absence de dessin préparatoire et son utilisation assez artificielle de la couleur et de la lumière.

      
 
Le sacrifice d'Isaac, vers 1603.              Saint Jean Baptiste

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" La particularité de l'école du Caravage est l'emploi d'une source lumineuse constante éclairant par en haut sans réflexions ; comme cela pourrait se produire dans une pièce qui n'aurait qu'une seule fenêtre et dont les murs seraient peints en noir…Tous ces procédés ne me semblent pas convenir à la composition d'une histoire et à l'expression des émotions…parce qu'il est impossible de disposer à l'intérieur d'une pièce éclairée par une seule fenêtre un grand nombre de figures qui jouent l'histoire, qui rient, se lamentent, marchent et qui, en même temps, s'immobilisent pour se laisser peindre. " G.Mancini, Considerazioni sulla pittura, 1619-1621. Cité par L.Marin, p.189, Détruire la peinture, 1977.

Document annexe. L'atelier de Poussin décrit par Antoine Le Blond de Latour, 1669.

" Cet homme admirable et divin inventa une planche barlongue, comme nous l'appelons, qu'il faisait faire selon la forme qu'il voulait donner à son sujet, dans laquelle il faisait certaine quantité de trous où il mettait des chevilles, pour tenir ses mannequins dans une assiette ferme et assurée, et les ayant placés dans leur situation propre et naturelle, il les habillait d'habits convenables aux figures qu'il voulait peindre, formant les draperies avec la pointe d'un petit bâton, comme je vous ai dit ailleurs, et leur faisant la tête, les pieds, les mains et le corps nu, comme on fait ceux des anges, les élévations des paysages, les pièces d'architecture et les autres ornements avec de la cire molle, qu'il maniait avec une adresse et avec une tranquillité singulières : et ayant exprimé ses idées de cette manière, il dressait une boîte cube, ou plus longue que large, selon la forme de sa planche, qui servait d'assiette à son plateau, laquelle boîte il bouchait bien de tous côtés, hormis celui par où il ouvrait toute sa planche qui soutenait ses figures, la posant de sorte que les extrémités de la boîte tombaient sur celles de la planche, entourant ainsi et embrassant, pour ainsi dire, toute cette grande machine.
Ces choses étant préparées de la façon, il considérait la disposition du lieu où son tableau devait être mis. Si c'était dans une église, il regardait la quantité de fenêtres, et remarquait celles qui donnaient plus de jour à l'endroit destiné pour le mettre, si le jour venait par devant, par le côté, ou par le haut, s'il venait de plusieurs côtés, ou lequel dominait davantage sur les autres. Et après toutes ces réflexions si judicieuses, il arrêtait l'endroit où son tableau devait recevoir son véritable jour, et ainsi il ne manquait jamais de trouver la place la plus avantageuse pour faire des trous à sa boîte, en la même disposition des fenêtres d'église, et pour donner tous les jours et les demi-jours nécessaires à son dessein. Et enfin il faisait une petite ouverture au devant de sa boîte, pour voir toute la face de son tableau à l'endroit de la distance ; et il pratiquait cette ouverture si sagement, qu'elle ne causait aucun jour étranger, parce qu'il la fermait avec son œil, en regardant par là pour dessiner son tableau sur le papier dans toutes ses aptitudes, ce qu'il faisait sans oublier le moindre trait ni la moindre circonstance ; et l'ayant esquissé ensuite sur sa toile, il y mettait la dernière main, après l'avoir bien peint et repeint. "